On lit de tout sur internet à ce sujet. Il n’y a pas une seule vérité. Ceux qui se targuent de l’avoir ne sont que des illusionnistes bi-classés barde. Cet article c’est une vision des choses, la mienne, une parmi beaucoup d’autres.
On va parler des “initiations” ayant pour but de faire découvrir les jeux de rôles à des personnes qui y sont étrangères, et non d’initiation à destination d’un public déjà “culturé” (via des actuals play par exemple) ou bien qui jouent déjà.
Tout d’abord, comment j’en suis arrivée à me poser cette question ? À force de rouler ma bosse en Salon et de jouer dans une association on croise beaucoup de nouvelles têtes IRL. Mais il y a aussi les appels à l’aide sur les réseaux sociaux. Des personnes souhaitant en “initier” d’autres, ou des personnes cherchant à se faire “initier”.
Le jeu de rôles est un marché de niche. On s’en rend clairement compte dans la vie active : on travaille avec des personnes qui n’ont pas la même culture et origine sociale que nous. En dehors de mon travail tous mes amis jouent. Que ce soit à des jeux vidéo, de société ou de rôles. Outre le fait de la difficulté à décrire ce qu’est un jeu de rôles, comment on y joue, arriver à faire franchir le pas d’une “initiation” est crucial. C’est ce que traduit cette question “comment initier au jdr?”
Pourquoi est-elle cruciale ? Lorsqu’on a réussi à décrire notre loisir préféré à quelqu’un, on a les yeux qui brillent quand ses lèvres remuent “oh, je veux bien essayer”. Une personne de plus c’est du pain béni, un pas de plus vers la sortie de la niche dans laquelle se trouve le jeu de rôle. C’est pourquoi “transformer l’essai” en expérience suffisamment convaincante est extrêmement important. C’est une pierre angulaire pour tous ceux et celles qui veulent promouvoir le genre au plus grand nombre.
J’ai préféré prendre cette question dans l’autre sens en voyant les conseils foisonnant déjà sur le web. Comme il n’y a pas de vérité absolue, il y a peut-être plus de consensus dans “ce qu’il ne faudrait pas faire” pour convaincre une personne que le jdr est un jeu de société comme un autre et qu’il est tout à fait abordable pour toutes et tous.
Alors …
Comment NE PAS initier aux jeux de rôles ?
- Dire “Initier”
Commençons par le commencement. J’ai un énorme problème avec le terme “initier quelqu’un au jdr”. Lorsque j’en parle à mes collègues de travail, ou des personnes extérieures à mon cercle social, “initier” leur évoque un acte sectaire. En gros, pour eux, ça fait “secte” ou “groupe de gens bizarres”. J’avais alors des réactions négatives ou des tentatives de fuir la discussion en cours, comme si vous vouliez les forcer à ingérer une culture occulte aux pratiques mystiques… D’ailleurs, voici la 1ère définition du Larousse du mot “initier” :
Admettre quelqu’un à la connaissance, à la participation de mystères religieux, aux pratiques secrètes d’une association, d’une secte.
Larousse 2021
C’est seulement en 2eme place qu’on parle d’initiation à une activité ou un domaine (sport, jeu). Dire « initier » sous entend que l’on souhaite imposer une culture à quelqu’un en espérant qu’il y adhère, comme on adhère a une secte ou un groupe social en marge de ses croyances initiales.
Cet article, écrit par Maitresinh sur le site 500 nuances de Geek, parle très bien du problème de vouloir “initier” quelqu’un et je partage son avis.
Mais du coup on dit quoi alors ? J’ai testé plusieurs mots et celui qui fonctionne le mieux c’est “découverte” et “Session découverte” qui sont exactement les termes employés par les boutiques de jeux pour faire tester un jeu de société. D’ailleurs vous pouvez observer dans les rayons que de plus en plus de kit d’initiation sont aujourd’hui appelé “kit découverte« , une transformation récente mais qui a plus de sens.
- Ne pas prendre en compte les sensibilités de chacun
Dans le contexte donné, au tout début de cet article, on parle de session où l’on va jouer avec des personnes qui n’ont jamais touché, voire vu, de jeux de rôles de leur vie. Dans ce contexte le MJ ne connaît pas sa table, surtout en événementiel.
Il est donc important de s’assurer dès le départ qu’on ne risque pas de choquer des personnes. Ce qui n’est pas choquant pour vous peut l’être pour quelqu’un d’autre, et vice-versa. Gardez ça à l’esprit : vous n’êtes pas dans la tête de l’autre.
La première chose est de faire une alerte dès le départ sur le jeu s’il conscient des passages et personnages violents (Disclaimer ou Trigger-Warning / TW). Par exemple si des personnes sont intéressées par jouer à du Cthulhu (Appel de Cthulhu et autres JDR similaires), demandez-leur dès le début s’ils connaissent et s’ils sont prêts à vivre des moments très malsains (corps découpés, sang, personnage pouvant mourir, violence sur les personnages, araignées, etc.). C’est la base.
Demandez aussi ce que les joueurs, et joueuses, ne veulent pas à la table de la part des autres : ça peut mettre le holà de suite, comme une joueuse qui peut exprimer qu’elle a du mal avec les blagues misogynes. C’est important de respecter sa sensibilité pour que son expérience soit la plus optimale possible : on est tous là pour s’amuser !
Vous pouvez bien sûr proposer des outils de protection émotionnelle, comme la X-Card, ou encore proposer à votre table de remplir une fiche ex : “ce que j’aimerais éviter de vivre, imaginer” ou encore “cochez votre niveau de tolérance aux descriptions gores, votre phobie et êtes-vous prêt à en voir en jeu” etc. Rien ne vous force à le faire bien entendu, les MJ habitués à être des animateurs (et certains c’est même leur métier) savent se passer de ce genre d’outil grâce à leur empathie et expérience. Et l’un n’empêche pas l’autre, évidement. Il existe beaucoup d’outils et d’approches.
Le but d’une session découverte n’est pas de traumatiser les gens, je pense qu’on est d’accord. À moins d’avoir une table qui le réclame vraiment comme certains joueurs et joueuses pour du Cthulhu, mais cela signifie qu’ils connaissent déjà un peu le milieu du JDR, ou au moins la gamme.
Bon normalement si vous maîtrisez du My Little Poney, à moins d’avoir des phobiques de poney ça devrait bien se passer ? Il y a bien sûr des jeux qui ne posent pas de problème de par leur absence de thématique violente. Du coup il faut surveiller autre chose : la violence pouvant survenir des joueurs ou joueuses. Transition !
- Ne pas virer de la table une personne au comportement irrespectueux
C’est probablement l’aspect le plus difficile : à quel moment une personne dépasse les bornes pour une autre. Si la victime se mure dans le silence c’est difficile de le deviner. Alors quoi ? On ne peut faire qu’au mieux. Il y a des choses qui ne sont pas acceptables de façon unanime.
Premier cas : toucher à l’intégrité du personnage de quelqu’un d’autre (et ça vous concerne aussi) qui n’est pas justifiable par le roleplay. Pour être claire ici on parle de violence faite sur un personnage, même fictif, qui peut affecter son interprète. Assassiner et violer sans consentement n’est pas acceptable à une table. Pire si cela ne sert pas l’histoire et n’est qu’une envie d’assouvir des idées malsaines en pensant qu’il n’y a aucune conséquence. Bien sûr le personnage meurt si la règle du jeu l’exige (en combat, piège mortel, échec critique etc.) mais ici je parle de tuer gratuitement un personnage.
Deuxième cas : un joueur, ou une joueuse, à un comportement irrespectueux directement sur la personne, et non le personnage (insultes, attouchements, gestes brutaux, remarques raciste / sexiste / LGBTQI+phobe etc.), c’est à dire des propos qui sortent du cadre de l’interprétation, du jeu même et qui sont de vrais attaques irl sur la personne qui joue.
Dans ces moments-là, le MJ doit réagir.
Que faire ? Vous pouvez donner un avertissement et ne pas intégrer dans l’histoire ce qu’il vient de se passer. Vous pouvez parler en privé au responsable. Lui faire comprendre que vous ne voulez pas de ça à la table. Demandez des excuses et que cela ne se reproduise pas. Si ça recommence, ou si le, la, responsable refuse : demandez à la personne de quitter la partie.
Comme je l’ai indiqué : dans ce contexte vous ne connaissez pas la personne. Peut-être que c’était naïf (et débile on est d’accord) de sa part et vous lui donnez une chance. Cela dit, vous n’êtes pas un Bisounours et vous avez des joueurs et joueuses à protéger. Tant pis si cela créé un malaise après le départ, vous verrez que la bonne humeur va revenir.
“ Mais je n’ai pas les épaules pour le faire… :’( ”
Et ça peut arriver, vous ne devez pas vous auto-flageller pour ça. Si vous êtes conscient de ce genre problème mais n’arrivez pas à le gérer : aller voir un membre du staff. D’où l’importance de jouer bien entouré à un salon et jouer dans un endroit neutre (une boutique par ex, où le gérant peut foutre dehors à votre place quelqu’un qui pose vraiment problème, là vous ne le reverrez plus c’est garanti). Il ne faut pas avoir honte si on ne se sent pas de le faire soi-même. Discutez-en avec quelqu’un que vous connaissez et qui sera présent avant la partie : ça va vous rassurer et vous n’hésiterez pas à lui demander d’intervenir.
Par exemple, moi, je sais que je peux compter sur les gérants partenaires, ou bien à certains joueurs souvent présents (notre Président qui est prompt à réagir rapidement, est fan de Catch de surcroît… la prise « German Souplex » n’est pas une menace en l’air).
Mais un comportement problématique, peut aussi venir de vous, MJ.
Eh oui, vous n’êtes pas exclu d’avoir un comportement inapproprié de façon intentionnelle ou non. Une blague mal placée, un acharnement sur un personnage (féminin souvent) peut vite virer au cauchemar pour le joueur, ou joueuse, qui le subit alors que vous pensiez amuser la galerie.
Alors bon, bien sûr virer le MJ c’est plus compliqué on ne va pas se le cacher. Essayez d’être conscient de ce que vous dites à une table, entouré de personnes qui ne vous connaissent pas, et ne partagent peut-être pas vos valeurs ni votre humour. Ils ne sont pas venus pour écouter vos opinions politiques, ni se faire bâcher avec des blagues venues du tréfonds du 42ème degré, que seuls vos proches comprennent.
Demandez du feed-back à votre table après la partie, y compris sur votre façon de maîtriser et l’ambiance, ça peut vous aider à vous améliorer aussi sur ce point.
On n’est pas là pour se faire des potes, on est là pour faire découvrir les jeux de rôles et faire en sorte que tout le monde s’amuse ? Libre à vous de vous en faire des potes au fil des aventures par contre ?
- Faire jouer son jeu préféré sans se poser de question
Ça se comprend qu’on aime maîtriser son jdr préféré même pour une session découverte. Mais il faut se poser une question : est-il adapté à un public débutant ? Un public dont on ne connaît pas les goûts et la tolérance vis-à-vis de certaines thématiques. Un public qui n’a pas l’habitude d’utiliser des dés, de calculer, d’interpréter un personnage, ou encore de passer 4h les fesses sur une chaise etc.
Si vous n’avez pas connaissance du public avec lequel vous allez jouer, comme c’est le cas en événementiel, peut-être que votre JDR préféré n’est pas le plus adéquat et que vous avez autre chose dans votre bibliothèque de plus adapté, une sorte de “niveau 0”. Bien sûr cela dépend de la définition de chacun de “c’est quoi un JDR pour débutant ?” mais je pense que vous voyez tous où je veux en venir.
Par exemple : avant de faire jouer à une partie d’Anima, n’est-il pas plus judicieux d’utiliser un JDR comme Chroniques oubliées sur une session de 2h avant de leur proposer un jeu aux mécaniques et univers plus ardus et sur 4h ?
Cela dit, peut-être que votre jeu préféré peut-être joué en découverte avec juste quelques ajustements (simplifier l’expérience via les règles par exemple), ou peut-être que ce dernier est déjà très bien adapté pour être joué en sessions découvertes.
Juste : se poser la question en toute objectivité et être honnête avec soi-même ?
- Ne pas faire briller chaque personnage
Après ce chapitre très sérieux, attaquons des sujets plus légers mais important pour offrir une session découverte aux petits oignons à votre table.
Une erreur, que je fais souvent car ce n’est pas si simple que ça, c’est de ne pas faire briller tous les personnages (il m’arrive d’en zapper un ou deux, honte à moi). Pourquoi c’est une erreur à mes yeux ? Ce qui marque le plus les esprits lors d’une partie c’est quand son personnage a accompli un exploit.
Le but est de créer un souvenir marquant, agréable, qu’à chaque fois que la personne va y repenser, elle va se dire “c’était bien ! J’aimerais bien refaire une partie”. Tous les rôlistes que j’ai interrogés sur leur souvenir de JDR le plus marquant racontent dans la majorité des cas un événement lié directement à leur personnage. Souvent il s’agit d’une réussite critique, parfois échec, mais cela peut aussi être un moment RP que le MJ a offert au personnage dans l’histoire afin qu’il puisse briller.
C’est plus facile à faire avec des pré-tirés déjà intégrés à l’histoire et ses événements. Cela permet d’associer une scène importante pour chacun. Même s’il échoue, il se sentira important dans la trame narrative, et son choix aura des conséquences.
Et surtout essayez de ne pas en oublier de personnage, sous peine de générer de la frustration, et donc un souvenir un peu amer pour la personne qui n’a pas pu avoir “sa scène”.
- Proposer un bac à sable
Les jeux de rôle en bac à sable ne sont pas les plus simples à aborder pour les débutants. La plupart des joueurs, et joueuses, que j’ai eues à mes tables se sont déjà senties perdu dans un scénario linéaire. Imaginez alors si je les avais lancés dans un environnement bac à sable ?
Le propre du “bac à sable” c’est de proposer un environnement mystérieux où c’est le groupe qui découvre et déclenche les aventures. C’est un genre qui convient bien aux joueurs, et joueuses, qui aiment l’exploration, chercher, même ça doit leur prendre des heures et des sessions de prise de tête pour parvenir à construire une histoire complète.
Seulement ici, dans notre contexte, on a affaire à des personnes qui ne savent pas encore ce qu’ils aiment dans le jeu de rôles, et encore pire : ne savent pas comment on y joue ! Est-ce que proposer un bac à sable est le meilleur choix à leur proposer comme première expérience ?
La plupart des MJ en événementiel utilisent des scénarios linéaires, ou en tout cas suffisamment pour pouvoir guider le groupe de façon subtile, parfois sans qu’ils s’en rendent compte (ce qui est mieux, Masterclass!). Les ficelles sont peut-être grosses, mais rien n’empêche de les surprendre avec certaines scènes et révélations.
Le jeu doit donner une sensation de fluidité, de challenges suffisants pour comprendre que les personnages prennent des risques avec leurs choix, mais un groupe de débutants ne devrait pas passer plus de 20 min bloqué sur la même scène. Sinon les minutes sont ensuite perçues en heures, et l’expérience devient moins agréable.
Guidez-les, subtilement, ne les infantilisez pas. Avoir une posture de facilitateur, de guide, est beaucoup plus simple lorsque le scénario se déroule tout seul, même s’il est linéaire : on est toujours ici pour découvrir comment on joue aux jeux de rôles. Si le jeu intéresse les gens vous pouvez leur parler alors des scénarios plus poussés que vous connaissez : ce sera plus facile pour eux d’imaginer le résoudre grâce à cette première expérience, et leur donnera envie de passer à des histoires plus complexes.
Puis un autre détail important : le temps. Un bac à sable a un déroulement plus lent, et peut mettre mal à l’aise des personnes qui ne sont pas habituées à chercher et rester assis à une table pendant des heures (en général plus de 2 h).
- Brider les initiatives
C’est un conseil très généraliste, mais il est bon de le rappeler, surtout après avoir conseillé de faire jouer des histoires linéaires. Car il est vrai qu’avec ce type de scénario certain MJ on tendance à faire en sorte que les joueurs restent dans les clous au maximum. Mais si une personne veut tester des choses il ne faut pas la brider car elle est en train de tester, inconsciemment ou pas, les limites de la pratique de ce genre de jeu.
Le plus recommandé est de ne jamais dire “non” directement, mais de tourner les choses comme si c’était possible mais hors de la portée du personnage. Ça peut être via un test trop difficile, un accès bloqué dans une rue, l’intervention d’un PNJ, en lui disant que son intuition lui indique que c’est une mauvaise idée, en rappelant le temps qui passe, par la nuit qui tombe ou bien la menace qui augmente d’un cran (une victime de plus dans une histoire d’horreur, une attaque de gobelin de trop sur le village, une malédiction qui devient davantage envahissante sur les personnages, etc.) etc. il y a pleins de façon de faire.
Si vous pensez qu’un joueur, ou joueuse, a une super idée n’hésitez surtout pas donner une récompense dans l’histoire : en faisant briller le personnage, en donnant un avantage à un test, en facilitant une rencontre etc. Faites leur plaisir, et à vous aussi bien sur ?
Conclusion
Voilà, c’est déjà terminé, merci de m’avoir lu jusqu’au bout ce papier. Et je rappelle encore que ce n’est qu’un avis, un retour d’expérience parmi tant d’autres. Je ne détiens pas la vérité ?
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À bientôt.
Saphie.