Le Personnage Non Joueur : un moteur d’immersion ?

En tant que MJ notre rôle est de faire en sorte que tout le monde s’amuse (oui, y compris vous, sauf si vous êtes maso). Pour cela le présupposé classique est que l’on va raconter une histoire dont ils.elles seront les protagonistes (ou pas, cela peut aussi être intéressant). Cette histoire s’inscrit dans un univers dans lequel on va essayer d’immerger les joueurs.ses (à des degrés variés selon les attentes de chacun.e). Cette immersion peut s’opérer de différentes façons : les joueurs.ses sont amenés.ées à connaitre suffisamment l’univers pour qu’il leur soit familier, leurs actions auront des répercussions qu’ils.elles seront capables d’identifier. ils.elles auront/développeront des enjeux personnels dans cet univers (Il y a probablement d’autres façons de créer de l’immersion mais elles m’échappent au moment où j’écris cet article).

Et un des outils dans le grimoire du MJ pour favoriser l’immersion est le Personnage Non Joueur (PNJ).

L’exposition à travers les PNJ

Parlons tout d’abord de l’exposition, c’est-à-dire tous les moyens que vous allez utiliser pour donner les clés de lecture de votre univers, par exemple le type de société (féodal, démocratie, théocratie gouvernée par des Chats-Dieux, …), le fonctionnement du réseau (WoldWideWeb, réseaux locaux, réseau planétaire mis a jour par des vaisseaux qui voyagent moins vite que la lumière, …), bref, toutes les informations pertinentes sur le fonctionnement du monde dans lequel votre groupe va évoluer. Il existe pleins de moyens de transmettre ces informations et si il est parfois intéressant de donner un résumé de ces clés par écrit afin que l’on puisse s’y référer, presque personne n’appréciera de devoir se farcir des pages et des pages de Lore pour pouvoir jouer.

© D&D5 npc’s

Et les PNJ dans tout ça ? Et bien ils vivent dans votre univers, ils se conforment à ses codes (ou pas #Rebelle) et donc peuvent parfaitement les illustrer. Par exemple lors d’une partie de Star Trek Adventures (j’espère que vous aimez les pyjamas parce la plupart des éléments que j’expose ici vont être illustrés par cette campagne qui m’apprend beaucoup sur la dynamique PJ/PNJ) le groupe est descendu sur une planète dans le cadre d’un premier contact. Ils ont d’abord eu un cours d’histoire par le leader bienveillant qui leur a raconté avec fierté que son peuple avait survécu à une guerre atomique en se réfugiant dans des abris, puis avait été mystérieusement tous téléportés dans une région de la planète protégée des radiations par un ensemble de machines étranges de conception inconnue. Le Leader était très content de montrer à quel point sa civilisation était maintenant éclairée et comment elle avait tourné le dos à la guerre.

Ce qu’il ne leur a pas dit, c’est que les descendants de la faction qui est suspectée d’avoir déclenchée la guerre qui a failli les anéantir sont aujourd’hui réduits en esclavage pour expier leur faute. Non il a passé cela sous silence et c’est normal, on imagine peu qu’au Premier contact avec des Extra-terrestres, au détour de la conversation nos chefs d’état leur disent « Oh au fait, si vous voulez une paire de chaussures on sera très content de demander aux enfants exploités dans l’usine ». Ça ne se fait pas, heureusement ils ont pu voir une domestique se faire très très sévèrement réprimander après une faute mineure, c’est ce qui leur a mis la puce à l’oreille. Après cela ils ont interrogé plusieurs « domestiques » jusqu’à créer des conditions où l’un d’entre eux s’est senti suffisamment en sécurité pour leur expliquer.

Ce que ça apporte : au moins 2 choses, d’abord la transmission de l’information est organique et se fait en roleplay. Ensuite cela donne la possibilité aux personnages des joueurs.ses (PJ) de réagir et d’interagir à chaud et donc c’est l’occasion de non seulement en apprendre plus sur l’univers, mais également sur les PJ.

Les PNJ, miroir des conséquences des actions des PJ

Parlons maintenant de conséquences de nos actions, c’est là aussi un point important à mon sens (qui n’engage que moi) de l’immersion. Si vos joueurs.ses peuvent être confrontés.ées au fait que les actions ont des répercussions, ils.elles pourront se sentir d’autant plus concerné.es et du coup réfléchir plus facilement à travers le prisme du personnage plutôt que celui du/de la joueur.se. Vous me voyez sans doute venir avec mes gros sabots pour vous dire que les PNJ peuvent aussi servir à ça, et vous avez parfaitement raison, bravo. 10 points pour Gryffondor.

©Star Trek RPG

En effet si leurs actions affectent des gens, ces même gens (ou leurs proches, ou autres) vont probablement réagir à la situation, d’une façon que le groupe va pouvoir percevoir.

D’ailleurs pas besoin de se précipiter, si vous êtes dans une campagne c’est parfois intéressant de laisser penser aux PJ qu’il n’y a pas eu de conséquences à leurs décisions désastreuses. Avant qu’ils ne soient rattrapés beaucoup plus tard par leur passé.

Donc vous avez soit des conséquences qui affectent directement le.la joueur.se qui pourront être mise en lumière par des PNJ qui les accompagnent et/ou des PNJ qu’ils voient régulièrement et qui ont leur raison d’être curieux de l’état des PJ. Et des conséquences qui affectent des PNJ qui vont ensuite les répercuter sur le groupe

Retrouvons l’équipage de tantôt, la sacro-sainte Directive Première de Starfleet ne leur permet pas d’intervenir dans cette situation d’esclavage. Sauf qu’ils avaient déjà mis les pieds dans le plat, sans le savoir sur le moment : le scan de la planète avait montré un réacteur nucléaire en activité sous une montagne. Quand le Leader a expliqué qu’ils avaient banni l’utilisation de la fission, quelqu’un lui a rétorqué ironiquement que c’était étrange puisque qu’ils avaient justement repéré un tel réacteur sous la montagne. Etonné, le leader s’est dit surpris et a semblé ne pas donner suite. Le groupe a enfin compris qu’ils avaient ainsi révélé la cachette des esclaves ayant parvenu à s’enfuir quand la faction dirigeante a aligné ses chars d’assaut face à l’entrée et que la radio fut soudain saturée d’appels à l’aide.

Et ce n’était même pas leur mission principale, tout cela s’est déroulé en toile de fond d’une mission d’exploration soudainement transformée par les événements en mission de premier contact, sauvetage et d’assistance technique. Mais cela a amené quelque chose que j’ai trouvé primordial à notre table : la sensation que chaque décision, chaque phrase prononcée par un PJ compte et peut engendrer des conséquences imprévues mais logique dans l’univers exploré. Cela a été une étape importante dans l’évolution du personnage du Capitaine qui s’était défini comme plutôt sanguin et prompt à l’action. Or la diversité et l’importance des missions de Starfleet ont tendance à favoriser les Capitaines posés et réfléchis. Ces événements l’ont fait mûrir et cela s’est senti dans les parties suivantes. La preuve : il n’a causé aucun autre génocide depuis.

Étant donné que les PNJ vivent dans votre univers, ils seront affectés par les actions des PJ. Donc un très bon moyen de leur donner le sentiment de vivre dans un univers qui réagit à leur actions est de les confronter à celles et ceux qui dont la vie va être affectée par leurs actions.

Les PNJ comme détonateur d’interactions et d’introspection

Maintenant parlons des interactions. Les PNJ servent aussi très bien à inviter en douceur les joueurs.se à exprimer ce que ressentent leurs personnages (pas forcément en roleplay si ceux.elles-ci n’y sont pas à l’aise). Après une situation de conflit impliquant des conséquences physiques ou morale (ouais c’est laaaarge), parfois dans le rythme du jeu on peut être tenté de simplement enchaîner. Il est si facile d’utiliser un PNJ pour demander innocemment si « tout va bien » et rien que ça va pousser le.la joueur.se à effectivement se demander si son personnage va bien et mine de rien cela va rendre son existence un poil plus palpable puisque ce ne sera plus juste une personne en train de jouer et de se demander « c’est quoi la suite ? » mais potentiellement un personnage dont les actions vont amener des sentiments, des questionnements et donc peut-être du développement. Faites le suffisamment souvent et les PJ pourraient y gagner en substance.

©Star Trek RPG

Inversement un PNJ peut facilement exprimer son propre ressenti, son opinion sur la situation ce qui contribuera là aussi petit à petit à étoffer sa personnalité dans votre esprit et celui des joueurs.ses. En faisant toutefois attention au conflit, sauf si c’est votre intention, les joueurs.ses aiement rarement se balader avec un.e moralisateur.trice, on a déjà les paladin.es loyaux.les pour ça, merci beaucoup (bisous sur vos heaumes, on vous aime d’amour).

Donc les PNJ peuvent ainsi aider à remettre le personnage au centre de l’attention et de donner de la substance à ces conséquences. J’aime bien les voir comme des agents provocateurs d’interaction sociale, là pour faire émerger les remises en question qui font mal (« Je ne sais pas trop quoi penser Capitaine, si on n’avait rien fait ces gens seraient encore en vie »). Évidemment rien n’oblige ni ne garantit que les joeurs.ses vont se saisir de l’occasion et ce n’est pas un problème.

La jeune enseigne Andorienne, un PNJ avec eux à cet instant, à pu exprimer son dégoût, son sentiment d’impuissance et ses doutes quant à la légitimité de la Directive en cet instant, ce qui a entraîné une discussion permettant aux PJ d’exprimer leurs opinions, notamment au Capitaine de réaffirmer son souhait de respecter la Directive.

Le troisième point qui me semble important pour l’immersion c’est que le groupe ait des enjeux dans votre univers. Si vous suivez, vous vous dites « je parie qu’il va encore parler de PNJ » bah oui, y a PNJ dans le titre de l’article en même temps… Si vous incarnez des PNJ suffisamment régulièrement pour que le groupe apprenne à les connaître, ils pourront plus facilement nouer des vrais relations avec. Pas juste une ligne obscure dans une case « relations » de la fiche de personnage qui ne sert à rien à part chercher un marché noir de temps en temps ou bien à ce que le MJ en profite pour torturer mentalement votre personnage à travers ses relations, et ça c’est cool. Mais ce qui est encore plus cool c’est quand ils ont eu le temps de rencontrer ces relations, d’interagir assez avec pour en avoir quelque chose à faire quand ils viendront poignarder le PJ dans son sommeil. Au-delà des relations « proches » il est souvent intéressant de saupoudrer de PNJ récurrents les moments « typiquement lents » d’une partie (le fameux « downtime » ou parfois juste les instants de relative sérénité entre deux explosions de violence), s’ils prennent l’habitude d’aller toujours dans le même magasin avec une vendeuse haute en couleurs, les phases de shopping pourraient ne plus être une sinécure pour certains.es. Bien sûr, je ne dis pas qu’absolument toutes les interactions valent toujours le coup d’être jouées en entier et en RP, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dis. Maaaaais si c’est quelque chose qui est amené à se reproduire plusieurs fois, ça vaut le coup de se poser la question d’y attacher un PNJ intéressant.

Pour illustrer ce propos je vais utiliser une expérience en tant que joueur cette fois ci. Sur la campagne de Pax Elfica, une joueuse avait choisi d’être la fille d’un PNJ récurrent : Klaus, le gérant de la taverne qui sert de point focal à la campagne. Les premières parties ont été riches d’interactions avec Klaus, notamment avec sa fille et je pense que tout le groupe s’y est attaché. Si bien que quand il a été capturé suite à nos actions, nous n’avons pas hésité à monter une opération de sauvetage et jusqu’à sa libération la joueuse qui s’est beaucoup investi émotionnellement a, j’ai l’impression, eu l’air de ressentir tout le poids de sa culpabilité et de l’angoisse pour son avenir et elle a très bien sut nous transmettre ces sentiments.

Aurions nous été autant investis envers un PNJ qui n’aurait eu aucun lien avec nous et avec lequel nous aurions peu ou pas interagi avant cela ? J’en doute.

Un autre événement marquant dans la campagne de Star Trek fut au bout de quelques parties la promotion de la cheffe de la sécurité au rang d’officier en second sur un autre vaisseau. Ce personnage avait été particulièrement présent lors de leurs aventures et à travers la spécificité du système de Star Trek Adventure plusieurs joueurs.euses avaient eu l’occasion de d’en prendre le contrôle. À l’occasion de son départ, le groupe de PJ a tenu à exprimer en RP le respect et l’affection qu’ils.elles avaient pour le personnage dans une scénette qui n’était pas prévue au programme mais qui, je l’espère, a renforcé leur immersion et leur attachement à l’univers.

Ainsi en rendant les PNJ plus présent il y a des chances que les PJ s’y attachent et deviennent investi émotionnellement. Ce qui permet de faire émerger des enjeux auxquels les PJ seront sensibles du fait de leur attachement au PNJ qui a besoin de leur aide.

Trop de PNJ tue le PJ

Bon, après avoir passé autant de temps à expliquer à quel point j’aime utiliser les PNJ pour fabriquer de l’immersion et comment c’est trop chouette, j’aimerais ajouter une remarque. Oui les PNJ c’est cool et c’est très utile. Mais, attention, car il est facile de se laisser emporter et le risque c’est de voler la vedette aux PJ. Rappelez-vous, c’est sensé être leur histoire. Laissez leur les feux de la rampe et faites de vos PNJ les figurants, les personnages secondaires qui sont là pour donner la réplique à vos PJ.

Une foulittude de PNJ noie les PJ, et vos autres PNJ

J’ai été joueur une fois sur une partie où l’on a très rapidement embarqué sur un vaisseau qui ne devait être qu’un moyen de transport. Le Capitaine s’est invité dans les événements qui ont suivi et à pris une place importante. Cela aurait très bien pu finir par être les aventures du capitaine qui prend toutes les décisions. Ça ne m’a pas empêché d’apprécier la partie fort heureusement mais ça aurait pu être le cas.

Maintenant pour aller plus loin j’aurais aimé avoir la recette du « bon » PNJ à vous donner mais ce n’est pas le cas. Je dirais que mon principal soucis lorsque je joue un PNJ c’est qu’il soit cohérent dans sa logique interne, tout en servant un maximum l’histoire. En effet difficile de rester immergé dans l’univers si le grand méchant est finalement persuadé par un groupe d’aventuriers inconnus de ne pas poursuivre le plan diabolique qu’il a mis des années à concevoir et mettre en place. Personnellement je trouve (moi personnellement mon avis à moi) que la punition classique de l’échec par l’irruption des gardes est ennuyeuse, chronophage et peu intéressante sauf si des gens ont l’illumination et les moyens de s’en sortir de façon créative. Je mets néanmoins une réserve, ça reste utile dans une situation où un groupe de PJ a tendance à abuser de sa liberté et nécessite d’être recadré ( et que ce soit clair, je ne suis pas là pour vous dire ce qu’il ne faut pas faire, si ça vous amuse vous et vos joueurs c’est parfait !)

OK c’est sympa, mais comment avoir un personnage cohérent ? Généralement pour les PNJ importants je vais déterminer quelques caractéristiques : un événement marquant de leur vie, quelque chose qu’ils savent très bien faire (une spécialité, une passion, un métier, …), quelque chose qui leur fait peur et une ambition.

Par exemple, l’enseigne mentionnée plus haut, Kiv T’Vahonis a grandi dans un désert de glace et y a développé une passion pour la survie en milieux extrême, c’est aussi une excellente pilote qui s’est distingué à l’académie Startfleet. Son ambition n’est pas très originale, elle voudrait devenir capitaine de son propre vaisseau mais cela reste très lointain pour elle, pour le moment elle se concentre sur bien faire son travail et continuer a en apprendre le plus possible. Ainsi il est arrivé une fois que le Capitaine passant près de l’Holodeck (salle capable de simuler de façon très réaliste à peu près tout et n’importe quoi) dans lequel tournait un programme qui avait visiblement outrepassé plusieurs limites de sécurité. Inquiet, il est entré et a en fait trouvé l’enseigne en train de tester une de ses simulations d’entraînement à la survie en milieu de froid extrême. Ils ont pu partager un moment de complicité où les rôles étaient un peu inversés : la jeune enseigne était l’instructrice et le capitaine l’élève.

Vous pouvez ajouter autant d’éléments dont vous avez besoin pour vous sentir à l’aise pour jouer un PNJ de façon récurrente. Et si vous vous retrouvez à devoir inventer sur le tas un PNJ qui risque en fait de devenir récurrent, vous pouvez toujours après la session faire la même démarche.

Normalement tout ceci devrait vous aider à faire en sorte que tous ces gens vivent dans votre tête et que vous puissiez les appeler quand vous avez besoin d’eux.

Conclusion :

Pour résumer, je trouve que les PNJ sont de formidables outils pour rendre vos parties immersives. Ils permettent d’inviter vos joueurs.ses à se poser des questions qui les poussent à réfléchir du point de vue de leur personnage plutôt que celui du/de la joueur.se. Ils participent à mettre les actions du groupe dans le contexte et donc d’en ressentir une partie des conséquences. Ils sont également autant de perches auquel le groupe peut s’agripper et développer des enjeux si ils arrivent à s’y attacher. C’est en cela que je pense que les PNJ peuvent être moteurs de l’immersion dans le JDR, en tout cas y participer en grande partie, à condition de les utiliser avec parcimonie et de ne pas voler leur feu sacré.

Voilà, j’espère que cela vois aidera à aimer les PNJ autant qu’ils le méritent.

Je clôture ce long article en vous laissant avec les mots de Mordin Solus : « Difficile d’imaginer la Galaxie, beaucoup de statistiques sans visage, facile à déshumaniser »

_TheGreen