JdR : Game design en galère ?

_Ce billet vous est proposé par Alban Damien

Cet article est une ébauche de définition concernant le jeu de rôle, et on pourrait donc se demander « pourquoi ». Pourquoi une énième tentative sur le champ de bataille du vu et revu ? Que reste-t-il à dire, à montrer, à faire ? Qu’espère-t-on y trouver ?

Certains pensent que le game design tire profit du flou notionnel qui entoure le jeu de rôle ; que « savoir comment en faire » est au fond plus important que de comprendre « ce que c’est ». D’autres défendent que les différentes définitions des uns et des autres sur la question sont le fruit de politiques – commerciales[1] ou idéologique[2] – donc, irréconciliables faute d’un intérêt marchand ou de bonne foi en quantité suffisante, de part et d’autre.

Enfin, quelques habitués de la théorie savent, comme moi, que le principe même de la définition la promet à l’échec. Une définition, c’est la stabilisation temporaire d’un concept qui évolue dans le temps. Ce que l’on réussira à créer aujourd’hui disparaîtra demain, inévitablement. L’alternative serait la mort de notre loisir. Sa stagnation. Et le jeu de rôle a encore, je l’espère sincèrement, de nombreuses années devant lui.

Alors à ceux qui estiment, pour ces raisons ou d’autres, l’entreprise inutile, je répondrai ceci : la définition d’un genre ou, ici, d’un média, c’est avant tout la constitution d’un modèle qui, sitôt constitué, se verra dépassé… Mais un tel modèle n’en reste pas moins un marchepied vers d’autres possibilités plus vastes, à la lisière de la norme que l’on vient de créer.

Pensez-y 😉

JdR : Game design
divinity GameMaster Mode

Introduction

Le constat paraît contre-intuitif. Avec un nombre virtuellement illimité de RPG sur le marché, on a toutes les raisons de croire au mythe d’un jeu de rôle compris et maîtrisé ; au moins par quelques spécialistes, peut-être même par nos studios préférés… et pourtant ! Preuve qu’il n’en est rien, l’absence, encore aujourd’hui, de toute définition consensuelle. On en a des tas, oui, mais aucune qui n’arrive à mettre tout le monde d’accord, et sur le strict point du jeu pas plus qu’ailleurs.

Aujourd’hui, on va donc tâcher de réfléchir sur ce qu’est le jeu de rôle. Non pas dans son sens étendu de « technique ou activité, par laquelle une personne interprète le rôle d’un personnage (réel ou imaginaire) dans un environnement fictif » (wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Jeu_de_r%C3%B4le), car une telle définition englobe tout, n’apprend rien, et peut aussi bien s’appliquer aux expériences de psychologie sociale qu’à ce que nous, rôlistes, appelons « jeux de rôles »… ou même au Loup-Garou de Thiercelieux[3]. En deux mots, elle craint.

Loup-Garou de Thiercelieux
Illustration pour ‘Loup-Garou’ de Thiercelieux

Malheureusement, même des définitions plus fines, telles que l’une des deux proposées par la Fédération Française de Jeu de Rôle – « un jeu où chaque participant interprète un personnage et participe à la création d’une fiction collective. »[4] – échouent à aborder notre loisir préféré dans sa perspective ludique. En matière de règles, de potentialités, le roleplay n’est pas mesurable, il n’est pas quantifiable : bref, il est dans la plupart des cas relégué en dehors du système. Paradoxal ? Évidemment ! Et, pour cette raison, il convient d’interroger le game design, qui a le mérite de créer nos jeux, justement.

L’Histoire aide, parfois !

Alors, qu’est-ce qu’un jeu de rôle ? Ou plutôt, qu’est-ce qui fait un jeu de rôle ?

Et bien… la réponse est, vous vous en doutez, plus compliquée qu’elle n’y paraît. Si compliquée que le game design se contente pour l’instant de donner des pistes simplifiées, plutôt, une fois encore, qu’une vraie définition[5]. Pour comprendre d’où vient le problème, on peut être tenté de revenir aux origines de notre loisir. Je ne parle pas ici des reproductions historiques, qui, gagnant en liberté, ont donné vie à notre Grandeur Nature (GN), mais bien des premiers jeux, conçus comme tels, que l’on puisse rattacher de manière historique au jeu de rôle.

Alors, on va éviter l’extrême de la revendication abusive, car de même que vous pourrez découvrir chez le célèbre John Wick l’appropriation d’un shamanisme primitif pour mythifier l’histoire de nos habitudes rôlistes (introduction « Le Magicien », Dirty MJ 2)[6], on peut toujours trouver des gens pour affirmer que les échecs, parce qu’ils divisent les pièces par leurs rôles, constituent le premier exemple probant de jeu de rôle… Ce qui est faux. Le pion n’a pas de rôle, il a une fonction. Comme le cavalier, la tour, et même le roi. Pensez-y : qui voudrait du rôle de « pion »[7] ?

le célèbre John Wick
Couverture de Dirty MJ

En revanche, il y a bien une invention dont l’on peut dire qu’elle inaugure l’histoire du jeu de rôle telle que nous le connaissons – et de manière défendable qui plus est : Diplomacy, paru pour la première fois en 1959 et encore assez célèbre pour avoir son propre championnat mondial annuel. Oui, mondial, et annuel. Alors, qu’a-t-il de spécial ? Quelque chose d’infime, de ridiculement bénin…

… il dispose, pour la première fois dans l’histoire du jeu, de règles incomplètes.[8]

Qu’entend-on précisément par « incomplètes » ? Certes la génération d’armée, le fonctionnement des combats, de même que les conditions de victoires sont déterminées formellement. En revanche, ces éléments et bien d’autres, pris dans leur entièreté, ne suffisent à expliquer ni le jeu, ni son fonctionnement. Pourquoi ? Tout est dans le titre : Diplomacy. On vous demande d’incarner le dirigeant d’une grande nation européenne. De l’incarner, et de négocier avec vos voisins.

D’un coup, le cadre du jeu explose, car comment mesurer les règles de la négociation, comment les quantifier ?

Comment définir ce qui est permis, en diplomatie, de ce qui ne l’est pas ?

Surtout quand c’est ce cadre flou qui doit vous permettre de gagner.

Diplomacy, le jeu de rôle vis et pense out of the box,
Diplomacy

Comme Diplomacy, le jeu de rôle vis et pense out of the box, et ça sans poser le moindre souci au game design, qui le théorise très bien. En fait, il a même un outil pour, qu’on appelle « l’émergence », défini par Ian Schreiber dans son Game Design Concepts comme « l’utilisation de mécaniques simples, mais dont les interactions donnent naissance à des dynamiques complexes et/ou profondes (selon votre traduction)[9].

La négociation peut, après tout, être décomposée en une multitude d’outils permettant de manipuler, de s’attirer la sympathie, ou de cacher vos véritables intentions : des mécaniques simples, doublées d’un objectif clair (gagner). Le résultat ? Des dynamiques passionnantes. Et même, d’autant plus passionnantes que les résultats n’ont pas été intégralement prévus par les créateurs du jeu.

Au fond, ne pourrions-nous donc pas dire que, comme Diplomacy, le jeu de rôle est, simplement, un jeu dont les interactions entre mécaniques de base n’ont pas été intégralement prévues lors de la conception. Un jeu qui, au contraire même, conserve un très grand nombre de ses potentialités latentes, puisqu’une plus grande part de son gameplay repose sur le langage d’abord, mais surtout parce que, contrairement à son ancêtre, il se trouve être essentiellement coopératif (même dans un cadre PvP).

En conséquence, la totalité des interactions « simples » nées de l’émergence se trouvent ici, normalement, employées en vue de démultiplier un plaisir collectif, plutôt que de favoriser une victoire personnelle.

Pour résumer plus simplement, cumuler l’explosion des possibilités qu’ouvre un gameplay émergeant avec l’absence de confrontation qui est le propre du jeu de rôle, et vous obtenez un jeu à somme non nulle. C’est-à-dire, un jeu où la coopération rapporte à tous plus que ce que chacun aurait pu obtenir seul. Ça paraît plutôt bien expliquer le succès de nos expériences de rôliste… non ?

gameplay émergeant avec l’absence de confrontation
Coopération et interactions « simples » (wikipédia © Aude Vanlathem)

Non. Sérieusement. Cette explication est séduisante. Elle permet de comprendre l’essentiel des attraits qu’exerce sur nous le jeu de rôle, mais… trois générations de game designers ne se seraient pas cassé les dents sur une réponse aussi simple, n’en déplaise à mon égo.

Le paradoxe de l’académie

En fait, le problème est sournois. Vous l’avez vu passer, vous ne vous y êtes simplement pas arrêté. Vous ne me croyez pas ? D’accord, je vous montre. Mais, pour ça, un petit détour.

Lorsque j’ai passé les sélections de l’école 42, j’ai eu l’occasion de discuter avec un game designer de formation. Nous débattions fréquemment de ce qu’était le Jeu, et en particulier le jeu de rôle, de comment le définir, notamment. Comme une amie m’avait tout récemment fait tester For the Queen, j’ai raconté (un peu malicieusement, je l’avoue) l’expérience à cette connaissance, qui en est restée estomaquée. En fait, le concept même de For the Queen se plaçait en faux de toutes ses connaissances acquises, car l’une des bases du game design, m’a-t-il alors dit, consiste dans le core system : c’est-à-dire, grossièrement, dans une manière de gagner le jeu.[10]

Or For the Queen n’en a aucune. C’est un jeu où les concepts même de défaite et de victoire n’ont pas lieu d’être. La partie prend simplement fin lorsque les joueurs atteignent une carte spécifique, ou que l’un d’eux se lasse, et c’est tout. Personne ne perd, personne ne gagne.

For the Queen correspond définitivement à ce que nous qualifions de jeu de rôle
For the Queen

Alors, évidemment, je m’attendais à sa réaction, connaissant ses vues bien arrêtées sur le sujet : pourquoi sinon lui proposer un contre-exemple irréfutable ? Et, après presque trois jours de cogitations intenses, il a trouvé une solution.

Il ne lui a tout simplement pas reconnu le titre de « jeu ». Il lui a préféré celui de « jouet » (dans la continuité de l’opposition entre playing et gaming [11]

Pourtant, For the Queen correspond définitivement à ce que nous qualifions de jeu de rôle – du moins, dans la définition empruntée à la FFJdR que j’en ai donné plus haut[12] : il lui a donc reconnu ce statut.

Oui, un jeu de rôle qui ne serait pas un jeu, parce qu’il n’a pas de condition de victoire… voilà où se trouve le problème. Je vous avais rapproché de l’erreur, désormais je la pointe du doigt : si le jeu de rôle fonctionnait effectivement sur des mécaniques simples, mais émergentes, et si ses conditions de victoire étaient évidentes, alors nous aurions trouvé le Graal du game design ; le grain de sable qui, rivé dans la machine, empêchait jusqu’à aujourd’hui son bon fonctionnement…

Mais non, car s’il est vrai que nombre de rôlistes jouent avec dans l’idée de vaincre le « scénario »[13], chimère terrible et odieuse à leur cœur, les vieux routards vous le diront : de même qu’à For the Queen, une partie de jeu de rôle ne se gagne jamais vraiment – et si vous avez un doute, souvenez vous de cette vieille phrase de Gygax « les dès servent à faire du bruit derrière le paravent ».

L’opposition au scénario est illusoire, le MJ n’est jamais un ennemi [14]… Ou alors vos tables ont réellement un problème [15] ! En fait, suivant une vieille phrase de philosophie pseudo-hindouiste, l’on pourrait même dire que, pour nous, rôlistes, « le chemin parcouru est plus important que la destination ». Et la présence d’objectifs, qu’ils soient personnels ou collectifs, n’entache en rien cet état de fait.

Un exemple ? Lors d’une récente partie de Cats, la mascarade, mon groupe et moi-même, nous nous sommes lamentablement plantés. Avons-nous « perdu » pour autant ? Nous avons ri, beaucoup, énormément ; et je crois qu’à tous, cela nous a suffi… MJ comprise. Et c’est justement là le problème. En dépit de l’évidence absolue de ces cas, pourtant fréquents, le game design ne parvient pas à concevoir qu’un jeu sans objectif reste un jeu. Lorsque par mégarde il en rencontre un, il tente de le changer, de le transformer pour le conformer à son modèle… Regardez Minecraft ! Avait-il besoin de niveaux, « d’achievement » ou d’un boss de fin ? Il me semble au contraire que son âge d’or s’est achevé lorsqu’un changement de ligne éditoriale a permis de terminer le jeu, quand bien même cette fin n’arrêtait pas la partie…

Lors d’une récente partie de Cats, la mascarade, mon groupe et moi-même, nous nous sommes lamentablement plantés
Couverture du jeu Cats! La mascarade

J’irai même plus loin : je crois, en toute sincérité, que ce qui nous empêche de concevoir un vrai jeu de rôle autrement que sur le support standard d’un livre de règles (plus ou moins volumineux) et de la conversation comme développement de la fiction n’est en aucun cas lié à un manque de technologie, mais plutôt à notre propre fermeture d’esprit. Ne comprenant pas ce qui fait d’un jeu de rôle, un jeu de rôle, nous restons cantonnés à une simplification de son modèle qui se concentre sur la « partie dite objective (l’aspect statistique et calculatoire du logiciel) »[16] de notre loisir.

En résumé, nous sommes prisonniers de nos idées reçues.

Et cela parce que la victoire est toujours, d’une certaine manière, une fin.

Alors, quelles solutions ?

Au risque de vous décevoir, je ne proposerai pas de solution miracle en conclusion. Je n’ai pas de définition limpide et claire du jeu de rôle, et il est toujours plus aisé de déconstruire un système défaillant que de créer le sien propre. En revanche, j’ai peut-être pour vous un critère de distinction apte à définir un jeu de rôle de tout autre type de jeu – et un critère un peu plus efficace que le « ba dans ‘’rpg’’ y’a ‘’rp’’, boloss »

Mais je vous entends d’ici : mon introduction ne vous a pas convaincu. « Pourquoi on ne peut pas se contenter du rôle ? », me demandez-vous. Eh bien, parce qu’il ne s’agit pas d’un critère suffisant. Il faut développer ? Pensez FPS[17].

Vous avez l’impression qu’un match à mort de Call of Duty entre dans la catégorie « jeux de rôles » ? Pourtant, on interprète définitivement un rôle (à moins que vous ne soyez militaire de formation, en ce cas il s’agirait plutôt d’une mise en abyme), on se met même carrément dans la peau de son personnage, et les campagnes coopératives ne sont sommes toutes pas si éloignées de certains scénarios linéaires sur papier.

Donc, si on se contentait du critère « rôle », le Loup-Garou serait un jeu de rôle. Et, pourquoi pas, les échecs aussi.

Loup-Garou serait un jeu de rôle
Quelques rôles du jeu Loup-Garou de Thiercelieux

Ma proposition est la suivante : ne pourrait-on pas dire qu’on entre dans le jeu de rôle à partir du moment où les joueurs commencent à opter pour des décisions sous-optimales dans le cadre du jeu ? Des décisions qui leur compliquent la vie, qui ne devraient pas leur permettre d’obtenir la ‘’victoire’’, voire de survivre en tant que personnage, mais qui leur semblent malgré tout la bonne chose à faire ? Je m’explique.

Reprenons l’exemple des échecs. À chaque coup, l’on peut imaginer un contre optimal – ce dont les grands joueurs ne se privent d’ailleurs pas. En conséquence, votre capacité à vous approcher de ce coup optimal déterminera non seulement si vous êtes ou non un grand joueur, mais aussi et surtout si vous pouvez gagner.

Dans la plupart des jeux, opus coopératifs compris, l’objectif reste de prendre la « meilleure » décision parmi les options disponibles ; c’est-à-dire, celles qui augmentent le plus vos chances de victoire… Mais, comme on l’a vu, la notion de « victoire » est, dans le jeu de rôle, bancale. Alors, puisqu’on ne peut se saisir du RP comme d’un critère suffisant, puisque l’émergence ne suffit pas non plus, pourquoi ne pas investir la seule chose qui puisse être constatée de manière objective : le fait qu’un ou plusieurs joueurs prennent des décisions qui semblent, paradoxalement, leur nuire ?

Attention : toute sous-optimisation n’est pas déterminante : en soi, la lubie, ou la simple flemme de lire 45 pages de dons pour maximiser son level up explique très bien le choix ‘’douteux’’ d’un personnage de Pathfinder. En revanche, lorsque le-dit joueur décide, volontairement et de manière répétée, de suivre des voies qui, sans nécessairement aller contre son personnage, ne l’aideront ni à progresser, ni à terminer l’aventure, il y a de bonnes chances qu’on soit dans un jeu de rôle. Et si le joueur prend ces décisions pour des raisons d’empathie, la présomption devient une certitude. Et oui, on parle bien « d’empathie », pas « d’immersion » : pas besoin d’aller jusqu’à l’adéquation parfaite avec son personnage pour donner de l’importance affective à la fiction. L’idée n’est pas claire ? D’accord, on illustre.

Prenez Ciri – notre fille adoptive dans The Witcher 3. On l’a retrouvé, on l’a ramené à son père comme promis, or ce dernier nous a promis 2000 pièces d’or pour cette tâche. Pour ceux qui n’y auraient pas joué, je préfère prévenir, un spoiler arrive, mais…

… ne prenez pas l’or.

Ciri et Geralt
Geralt protège la jeune Ciri © Cyberaeon (deviant art)

Pourtant, l’or est utile. À ce stade du jeu, il représenterait même une aide confortable, mais la vidéo[18] qui suivra vous donnera, si vous avez un tant soit peu de cœur, honte de vous. Entre n’avoir rien, ou profiter de cette somme, l’intérêt est évident ; mais d’autres valeurs s’interposent et rendent ce choix, sinon plus compliqué, du moins, moins anodin.

Que s’est-il passé ? On a simplement glissé, en tant que joueur, vers la fiction. On lui a accordé un crédit, une réalité qu’elle n’a pas, qu’elle n’aura jamais. Or la « meilleure » voie, celle qui donne un avantage pour finir le jeu (donc, prendre les 2000 pièces) ne l’est que sur le plan rationnel, objectif, de maximisateur extérieur à la fiction. Si vous envisagez cette décision sous l’angle humain. Si vous voyez en Ciri une personne, et pas un programme, prendre cet argent, pire encore sous ses yeux, devient l’expression vénale d’une cruauté gratuite… et sans avoir besoin de se prendre pour Géralt.

Un sac d'Or

En termes plus sérieux/ théoriques/ compliqués, le jeu de rôle implique un intermédiaire. Entre l’extradiégétique (l’extérieur de la fiction, notre monde à vous et à moi) et l’intradiégétique (l’univers de la fiction, soumis à ses lois et ses règles propres) : un rapport flou, fluide, de vos émotions propres face à la fiction. La différence avec un livre, un film, ou un autre média ? Tout simplement votre capacité à y réagir.

Ça peut paraître évident, mais il faut bien réaliser que dans l’immédiat, nous n’avons même pas les mots pour le penser. Le bleed[19] de nos cousins Gnistes, même s’il paraît assez proche en termes de dynamiques, ne peut pas ou plus difficilement s’appliquer à notre cas, car il n’y a pas fusion parfaite entre le personnage de jeu de rôle et son joueur. A l’inverse, les RPG, qu’on rejette pourtant si souvent comme « n’étant pas du vrai jeu de rôle », semble partager avec le jeu de rôle cette capacité commune.

Nos cousins Gnistes
NoUn groupe de joueurs de GN © Michel Tournerie (Pinterest)

Le terme le plus juste pour parler de ce phénomène serait sans doute l’interdiégétique : on désigne par là les intersections, les frictions, les projections partielles, entre l’univers de la fiction (diégèse) et son en-dehors (l’interprète, nous).

Et chaque fois qu’on observe de telles frictions, chaque fois qu’un joueur revoit son ordre des priorités en défaveur du jeu, et d’un avantage qu’il pourrait acquérir sur lui, par empathie, sa décision est illogique si on s’en tient au game.

Mais si on le prépare, cet « illogisme », si on le provoque…

On joue aux jeux de rôle.

Par Alban Damien.
Mes remerciements à Thomas Munier,
pour son aide, ses conseils, et surtout ses critiques 😉

Un mot sur l’auteur

Lauréat de deux concours de scénarios, Alban Damien est un rôliste convaincu, tout particulièrement intéressé par les interactions entre mécaniques et intrigues. Fraîchement sorti de l’université après l’aboutissement de ses recherches, ses spécialités touchent à la narratologie et à la stylistique – c’est-à-dire, à la rhétorique de nos histoires…

Cet article vous a plu ? Venez retrouver les autres sur D1000&D100 (http://d1000etd100.com/notre-blog/). Je suis également accessible sur les discords de l’ANTRE, de la Ligue Ludique, et des Courants Alternatifs, sous le pseudonyme de Tenebos.

Sources de l’article

[1] Notamment dans le discours de Ludovic Papaï, pour établir la différence de sa/ses gammes face au jeu de rôle dit « classique » https://www.cestpasdujdr.fr/

[2] Le Grog (http://www.legrog.org/) lui-même se trouve en effet régulièrement accusé de favoriser les jeux de rôles traditionnels (seuls à être officiellement fichés par l’équipe) par peur de voir les propositions alternatives dépasser en popularité d’un modèle historique.

Source => https://lesateliersimaginaires.com/forum/viewtopic.php?f=73&t=3388

[3]oui, j’exclus le Loup-Garou de Tiercelieu du jeu de rôle, mais vous avez ma promesse que ce n’est pas gratuit.

[4]http://www.ffjdr.org/ce-devez-savoir-jeu-role/definitions-du-jeu-role/ Vous voyez ? Pas d’interprétation de son personnage, dans le Loup Garou de Thiercelieux : seulement une fonction dont dépend vos options de jeu… D’autant que, spontanément, les événements qui constitueront la partie n’en feront pas une histoire pour autant. Essayez de la raconter et vous verrez.

Cela dit, comme utiliser une définition que je réfute pour valider un jugement reste limite en terme d’honnêteté intellectuelle, je vous trouverai un meilleur argument… mais retenez quand même celui-là : on ne sait jamais.

[5] Ce qui ne veut pas dire qu’aucun game designer ne s’y est essayé ! D. Vincent Baker écrit dans son « Lumpley Principle » que « Le système [de jeu de rôle] (qui inclut “les règles”, mais ne s’y limite pas) désigne les moyens par lesquelles le groupe se met en accord sur les événements imaginaires se déroulant au cours de la partie. » En prolongeant un tout petit peu, on pourrait dire qu’il y a jeu de rôle dès l’instant où la validation de l’événement fictif se fait collectivement. Et ça marche pour le jeu de rôle… Mais ça marche aussi pour le théâtre d’impro, malheureusement.

http://archive.wikiwix.com/cache/?url=http%3A%2F%2Fbig-model.info%2Fwiki%2FLumpley_Principle

[7] A ne pas confondre avec la vision du personnage pion de Frédéric Sintes. Son concept sert à désigner la manière dont est utilisé le personnage par le joueur, et non pas le rôle investit par celui-ci.

https://www.lacellule.net/2014/05/podcast-jdr-responsabilite.html

[6] Qu’on soit clair, j’ai beaucoup d’estime pour cette introduction du maître : elle est inspirante, et d’une prodigieuse portée allégorique. Mais allégorique, justement. On ne peut, sur le plan de la logique, pas plus associer la puissance évocatoire du Maître de Jeu à la spiritualité du shaman que la figure du shaman à l’ésotérisme du magicien… excepté dans l’imaginaire collectif ; et la vision mythifiée d’une histoire rôliste, si elle fut sans doute nécessaire pour trouver quelques miettes de légitimité, ne doit jamais nous la donner au prix de notre esprit critique, ou de notre honnêteté 😉

[8] Si vous pensez que ce n’est pas si important que ça, l’existence des règles incomplète est, pour Olivier Caira – l’auteur d’une étude universitaire sur le jeu de rôle publiées aux éditions CNRS, rien que ça, un critère définitoire du jeu de rôle.

cf. Jeux de rôles : les Forges de la Fictions, par Olivier Caira, publié aux éditions CNRS

http://www.legrog.org/jeux/documentation-etudes/jeux-de-role-les-forges-de-la-fiction-fr

[9]« Generally, emergence describes a game with simple mechanics but complex dynamics »

https://gamedesignconcepts.wordpress.com/

[10] Moins grossièrement, on pourrait dire du core system qu’il est le fondement du jeu : de ce qu’il va être, du type d’expérience qu’il doit permettre de proposer à son ou ses joueurs. Toutes ces choses, dans leur extension maximale, comprennent les conditions de victoire… mais comme développement logique de ces principes de base : « As designers, we start with a core – the one thing our game is about. Another way of putting it, the core of a game is its statement of purpose » https://bbrathwaite.wordpress.com/2008/10/15/the-core-of-a-game/.

[11] « Play is an open-ended territory in which make-believe and world-building are crucial factors. Games are confined areas that challenge the interpretation and optimizing of rules and tactics »

Playing and Gaming, Reflections and Classifications, parBo Kampmann Walther

http://gamestudies.org/0301/walther/

[12]« un jeu où chaque participant interprète un personnage et participe à la création d’une fiction collective. »

d’ailleurs, à ce sujet, la FFJdR propose également une seconde définition, plus élaborée et tristement traditionnelle, sous laquelle For the Queen ne serait pas un jeu de rôle. Amusant, non ?

« Le jeu de rôle est un jeu de société coopératif. Un joueur particulier, le meneur de jeu, met en scène une aventure dans un cadre imaginaire en s’aidant d’un scénario. Les autres joueurs interprètent les personnages principaux de cette aventure. Le jeu consiste en un dialogue permanent au moyen duquel les joueurs décrivent les actions de leurs personnages. Le meneur de jeu décrit à son tour les effets de ces actions, interprète les personnages secondaires et arbitre la partie en s’appuyant sur des règles. »

[13](le fameux « beat the game », cri de guerre supposé des ludiques dans la théorie LNS https://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9orie_LNS)

[14]« The essence of a role-playing game is that it is a group, cooperative experience. There is no winning or losing, but rather the value is in the experience of imagining yourself as a character in whatever genre you’re involved in, whether it’s a fantasy game, the Wild West, secret agents or whatever else. You get to sort of vicariously experience those things. »

Gary Gygax, 2006, dans Entretien par téléphone en 2006 cité dans Gary Gygax, Game Pioneer, Dies at 69, article de Seth Schiesel dans le New York Times le 5 mars 2008

[15] Concrètement, si, on peut imaginer des jeux de rôle dont ce serait l’objectif assumé, mais on trouvera plus souvent des jeux qui n’en donnent que l’impression. Souvenez-vous : le MJ ment.

[16]Wikipédia, article RPG, « principes généraux » https://fr.wikipedia.org/wiki/Jeu_vid%C3%A9o_de_r%C3%B4le

[17]First Person Shooters

[18] https://www.youtube.com/watch?v=W8JhAkFg6a4

[19] « Le bleed, c’est le transfert d’émotions entre le hors-jeu et le en jeu. »

Bibliographie :

Sites de référence :

Le GROG
C’est pas du JDR

Les limites du Grog : https://lesateliersimaginaires.com/forum/viewtopic.php?f=73&t=3388

Quelques définitions du jeu de rôle :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Jeu_de_r%C3%B4le

http://awarestudios.blogspot.com/2011/12/cest-quoi-un-jeu-de-role.html#!/2011/12/cest-quoi-un-jeu-de-role.html

http://lesateliersimaginaires.com/glossaire/jeu_de_r%C3%B4le_traditionnel?DokuWiki=hafu3sgumi3r7ickvvimpqcaf7

http://awarestudios.blogspot.com/2013/02/explorer-la-marge.html#!/2013/02/explorer-la-marge.html

http://archive.wikiwix.com/cache/?url=http%3A%2F%2Fbig-model.info%2Fwiki%2FLumpley_Principle

Le personnage pion chez Frédéric Sintes

https://www.lacellule.net/2014/05/podcast-jdr-responsabilite.html

Playing versus gaming

http://gamestudies.org/0301/walther/

http://lesbonsremedes.overblog.com/2014/10/gaming-versus-playing.html

Les « jouets » de rôle

https://courantsalternatifs.fr/forum/viewtopic.php?f=18&t=1262

L’analogie du joueur d’échec

Définition du bleed

https://courantsalternatifs.fr/forum/viewtopic.php?t=210

http://www.legrog.org/jeux/documentation-etudes/jeux-de-role-les-forges-de-la-fiction-fr

https://gamedesignconcepts.wordpress.com/

https://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9orie_LNS